Yushi Li, Molly Matalon, Laura Stevens : 3 femmes photographes qui mettent l'homme à nu (2024)

Photographie 02 Juillet 2021

Pleins feux sur le corps masculin... et sur le désir féminin. Alors que les artistes s'interrogent de plus en plus sur les représentations de la sexualité, Numéro se penche sur le travail de trois femmes photographes,Yushi Li, Molly Matalon et Laura Stevens, qui posent un regard désirant sur le corps des hommes tout endéconstruisant, chacune à leur manière, le mythe de la masculinité.

Par Alix Leridon.

Le nu masculin faitactuellement l'objet d’un fort regain d'intérêt. Dimanche 4 juillet, Masculinités, l’exposition sensation interrogeant nos représentations de l'identité masculine donnera le coup d'envoi desRencontres de la Photographie d'Arles. Dans son sillage, le collectif féminin Lusted Men présentera son sulfureux projet : une collectionde photographies érotiques d'hommes réunie de manière originale, à l'issue d'un appel à participation auprès de photographes amateurs et professionnels (celui-ci, lancé il y a deux ans continue toujours). Cet engouement réflexif pour le nu masculin est également partagé par une nouvelle génération d'artistes qui, à l'instar de la jeune photographe féministe Harley Weir, questionnent leur vision de l'homme contemporain à travers son intimité.

Alors qu'il est de plus en plus questionde s’émanciper du male gaze,regard masculin réifiant –voire fétichisant –les corps féminins dans les arts visuels, en s'ouvrant notamment à un possible female gaze, libre et pluriel, Numéro se penche sur le travail de troisjeunes femmes photographes qui se réapproprient aujourd’hui la représentation du nu et de la sexualité. Les travaux de Yushi Li, Molly Matalon et Laura Stevens questionnent ainsila masculinité à travers une variété éclairante de regards féminins, qui s’affirment sans jamais s’effacer derrière le modèle représenté. Car le corps masculin n’est pas tant le sujet de l’œuvre de ces artistes que l’exploration de leurs propres désirs. À travers différentes démarches et esthétiques, elles interrogent chacune à leur manière leur rôle de sujet désirant, renversant ainsi le paradigme de la femme comprise comme simple objet de désir, archétype ayant longtemps gouverné la production artistique. Ce faisant, elles proposent de nouvelles représentations du corps masculin, qui ne seraient plus uniquement gouvernées par d’invariables critères de virilité (muscles saillants, symboles phalliques), mais, au contraire, par une certaine douceur et ingénuité.

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“My Tinder Boys : Tom, 20, 5km away”, Yushi Li (2018)

1. Yushi Li : de l'homme enfant à l'homme ornement

Les rendez-vousTinder de Yushi Li ne sont pas comme les autres. Quand laphotographe de 30 ans, installée à Londres, prévoit une rencontreavecun homme, c'est pour l'inviter à poser devant son appareil...dans le plus simple appareil. Sur plus de 300 hommes contactés par l'artistesur l’application, une petite quinzaine a finalement accepté de se prêter à l'exercice, à savoirse laisser prendre en photonuset sans contrepartie –la grande majorité ayant demandé des faveurs sexuelles à la photographe en échange dejouer les modèles. Jeune femme hétérosexuelle d'origine chinoise, Yushi Li ne contacte pour ce projet que des hommes à l'apparence occidentale, affirmant son attirance particulière pour ce type de physiquetout en renversant la banalisation de la fétichisation des femmes asiatiques.L'artistemet alors en scène ses modèlesdans leur propre cuisine et s’examine en même temps elle-même, en tant que sujet désirant. Dansla série intitulée Your Reservation is Confirmed,elle pose par exemple aux côtés de ses modèles masculins à l'instar de la photographe chinoisePixy Liao, qui s'immortalisaitelle aussi auprès de son conjointnu afin de renverser les stéréotypes de genre. Deson côté, Yushi Lise montredans ses clichéssous un jour ludique et comique, jouant à la corde à sauter ou à la pâte à modeler avec des hommes entièrement nus, loin des représentationsde force et de virilité généralement associées à la masculinité. Loin de chercher la perfectiondans ses modèles ou ses compositions,la jeune Londonienne envisage plutôtla photographie comme un jeu etmêle son air sérieux et désabusé à la frivolité des poses et activités représentées. Ce doux mélange de désir et de dérision transparait à nouveau dans sa dernière série, The Feast, qui reprendles codes de la peinture classique mettant en scène des nus féminins (d’Ingres à Cézanne) eninversant les rôles de façon parodique. Dans cette série, la nudité est ainsi réservée aux hommes, qui font figure d'ornements aux côtés des deux modèles femmes qui, elles, sont habillées.

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Foot, “When a man loves a woman”, Molly Matalon (2020)

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Socks, “When a man loves a woman”, Molly Matalon (2020)

2. Molly Matalon : l'homme à fleur de peau

Paru en 2020, le premier livrede Molly Matalon, When a man loves a woman,mêle fruits, fleurs et nudité frontale. Ayant grandi en Floride, la jeune photographe américaine, qui vitdésormais entre New York et Los Angeles, ramène sur ses clichés la chaleur et le soleil brûlant de son “sunshine state” natal. Dans des tonalités jaunes-orangées, de jeunes hommes posent dénudéssur des lits défaits ou sur le sable fin de plages ensoleillés : certainsont parfois gardé leurs chaussettes etleur caleçon,ou portent des bijoux (colliers, boucles d’oreilles),détails qui n’en sont pas moins déterminants pour les identifier. Àtravers l'inclusion de leurs sous-vêtements parfois légèrement trop grands ou unpeu usé, l’érotisme s'associe désormaisà un lâcher prise flirtant avec le laisser-aller. D’éléments de décor, ils deviennent parfois le sujet même des photographies, comme dans ces images de chaussettes sales érigées en nature morte. Réunissant des photos prises entre 2015 et 2020, lelivre de Molly Matalon s’invite dans l’intimité d’une dizaine d’hommes différents :amis,“crush”, amantsou inconnus rencontrés sur Internet, tous correspondentà une certaine idée de la sensualité pour la photographe. Mais cette dernière refuse toute idéalisation sexuelle du masculin, davantageintriguée par ce que la lasciveté pourraoffrir de trivial et de maladroit et proposer, en définitive, une vision de la nuditétrès incarnée. A travers la pudeur de leurs poses et dans le regard, les modèles s'exposent en effetbien plus dans leur intériorité que dans leur corporéité.

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“7 December”, Laura Stevens (2018)

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“14 November”, Laura Stevens (2018

3. Laura Stevens : une garçonnière au féminin

Quand elle ne photographie pas Emmanuel Macron, Patti Smith ou Cédric Villani, Laura Stevens photographie des hommes nus. Dans le cadre desa pratique artistique, la photographe anglaise installée à Paris s’est toujours intéressée aux rapports amoureux et intimes. Pour sa récente série Corps d’hommesprésentée à la galerie Miranda il y a quelques mois, elle réalisaitplus de 50 portraits d’hommes dénudés. Dans une mise en scèneplus proche d'une esthétique studio que chez Molly Matalon et Yushi Li, oùle travail d'éclairage et de cadrage prédomine, les modèles changent mais le décor, presque nu lui aussi,reste sensiblement le même : Laura Stevens photographie les hommes chez elle, dans son propre lit. En les intégrantà son propre environnement intime, la photographe avance sur un fil ténuentre lecontrôle total lié à sa connaissance privilégiée de ce décor, et lavulnérabilité causée par sondévoilement qui dit peut-être autant d’elle que des hommes qui l’occupent. Parce que les hommes posent tous dans le même décor, sur le même lit et devant le même mur gris, les différences se creusent d’autant plus entre les modèles, déroulant un aperçu contrasté de multiples formes du masculin :disposées dans l'ordre chronologique, les imagessont d'ailleurs toutes scrupuleusem*nt datées et semblent étaler le contenud'un carnet de conquêtes, interrogeantégalement les injonctions socialesà lamonogamie et à l'exclusivité. Pourtant, une certaine idée de la solitude se dégage aussi de cette série.Plusieurs modèles se dérobent aux regards en détournant le leur, en tournant le dos à l'objectif voire en cachant leur visage. Entre l'abandon et la vulnérabilité, ils paraissent,dans un même mouvement individuel ramené au collectifpar la photographe, à la foisaffirmer et prendre conscience de leur nudité.

Le travail de Laura Stevens est actuellement présenté à la Galerie Miranda, 21 Rue du Château d'Eau, 75010 Paris, jusqu'au 31 juillet 2021.

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